A PROPOS

Jean-Pierre Zaugg

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Jean-Pierre Zaugg
2000 Neuchâtel, Suisse
info@jpzaugg.art

Repères bibliographiques

Artiste. Après une période pop, 65/70, remise en question fondamentale, approche du Boudhisme, de la physique et de la théorie du tout. L’espace, le temps, la réalité, tout à repenser. L’objet comme un événénement et non une substance ! Dès 1980 décide de dessiner un caillou par jour, acte de discipline et d’humilité. En parallèle, travaille l’effacement de l’image, écrire des mots qui déclinent, suggèrent un sens caché, un événement…

Plasticien.

Scénographe. 

JPZ exposé

2018 : MAHN, L’objet du mois / 2018 : Centre Dürrenmatt Neuchâtel, Arte Facta / 2018 : Musée d’ethnographie Neuchâtel, La Rupture Pop / 2010: Galerie Hartefeld, Morat / 2009: Inauguration Fourchette, Vevey / 2008: Galerie Numaga / 1984: Galerie Guy de Montmollin, Cortaillod / 1983: Weekend Galerie, Blauen / 1983: International Art Expo, Dallas / 1983: Artistes neuchâtelois du 20e siècle, Neuchâtel / 1982: International Art Expo, Coliseum, New York / 1980: Quinze peintres suisses, Tokyo / 1978: The New Image, Balexert, Genève / 1977: Galerie: Edition GE, Winterthur / 1977: Galerie, Buren s/Aar / 1977: Galeria de Serralonga, Barcelone / 1976: Galerie Media « Mixed Media» , Neuchâtel / 1976: Centre Culturel Neuchâtelois / 1976: Biennale de l’image multipliée, Genève / 1975: Jeune Art Graphique Suisse, Paris / 1974: Galerie Arte Arena, Dubendorf / 1974: Biennale de l’image multipliée, Genève / 1973: TELL 73, Bâle, Berne, Lausanne, Lugano / 1973: Galerie Media, Neuchâtel / 1973: Expériments, centre culturel, Neuchâtel / 1973: Confrontation, Musée de Beaux: Arts Neuchâtel / 1972: Implosion, musée cantonal des Beaux: Arts, Lausanne / 1972: Galerie lmpact, Lausanne / 1972: Galerie Foksal, Varsovie / 1972: Freiheil fur das Grieschische Volk, Zurich / 1972: Espace: Situation, Montreux / 1972: Biennale de Cracovie / 1971: Norbert Galleries Houston / Mexico / 1971: L’Art contre la pollution, Neuchâtel / 1971: Galerie Impact, Nouvelle Figuration, Lausanne / 1971: Art: Expo, New: York Coliseum, NYC / 1970: Galerie Creachenn, Cortaillod / 1970: Centre de Culture, Neuchâtel, Occupation d’un Volume / 1969: Galerie Centre Culturel Neuchâtelois / 1969: Galerie Belvédère, Hergiswil am See / 1969: Club 44, la Chaux: de: Fonds / 1969: 22 Kunstler aus dem Kanton Neuenburg Winterthur / 1968: Galerie Renée Laporle, Antibes / 1968: Galerie Jacques Massol, Paris / 1968: Centre Culturel, Neuchâtel / 1965: Prix de la Jeune Peinture Romande, Lausanne / 1965: Club 44, la Chaux: de: Fonds / 1964: Centre Culturel, Neuchâtel / 1964: Bourse Fédérale, Berne / 1964: 5 peintres romands, Galerie Club, Neuchâtel / 1963: Exposition Européenne d’art contemporain, Lyon / 1963: Amis de Arts, la Chaux-de-Fonds,

Nulla dies sine calculo*
Par Michel Thévoz

Les deux sources artistiques que reconnaît Jean-Pierre Zaugg, ce sont le Pop Art et l’art conceptuel, qui ressortissent respectivement au visible et au lisible. Bien sûr, passée l’étape juvénile des influences, JPZ a frayé sa voie personnelle, mais sans renier cette double et contradictoire ascendance, et sans davantage en rechercher la synthèse – il est le premier à savoir que tous les chemins mènent à Rome sauf celui du compromis. S’il fallait d’emblée déterminer ce qui le singularise, c’est justement l’écart irréductible entre la représentation verbale et la représentation visuelle, et plus précisément la générativité de cet écart, sur lequel portent ses spéculations plastiques. A l’instar de l’alternative corpusculaire et ondulatoire de la physique quantique à laquelle JPZ s’intéresse tout particulièrement, son système est à deux entrées, qui s’excluent et pourtant se présupposent l’une l’autre – son système, autrement dit, a pour ressort une insoluble et prolifique discordance.

Ainsi, depuis 1980, Jean-Pierre Zaugg s’est assigné la tâche de dessiner quotidiennement un caillou. C’est déjà faire ressortir l’intervalle métaphysique entre, d’une part, le mot «caillou», toujours le même, qui délimite son iconographie, et le caillou empirique, le plus banal possible, mais chaque jour différent, que le peintre ramasse sur le chemin ou que les gamins du quartier lui apportent. Car c’est bien la gageure qu’entend tenir JPZ, qu’il tient pour de l’humilité, mais qui requiert néanmoins une grande rigueur: s’en tenir strictement à l’objet, l’empêcher de s’instituer en sujet – en dépit de l’équivalence que la peinture suggère entre ces deux notions antonymes. Il s’agit en l’occurrence de prévenir les aspirations métaphoriques de la pierre, qui sont multiples et contradictoires, selon qu’on la pose, qu’on la dresse, qu’on la jette, qu’on la divise, qu’on l’aligne, qu’on la sertit, etc. : elle peut fonder, borner, monumenter, commémorer, parer, stigmatiser, endurcir, fossiliser, compter… En dépit de ce que voudrait l’adage, lorsqu’on lui montre un caillou du doigt, l’imbécile regarde le caillou, alors que c’est la manière dont on l’indexe qui détermine sa réalité, et a fortiori l’interprétation que lui donne le peintre. Or, l’ascèse de JPZ vise justement le degré zéro de l’interprétation, le caillou tel qu’en lui même enfin l’humilité du regard le convertit, le calme bloc chu d’un désastre dont le peintre ne veut rien savoir – seulement voir.

Or, l’effet paradoxal de cette ascèse du caillou ramené à son état brut, pré-humain, pour ainsi dire, bien loin de l’insignifiance, c’est la réactivation d’une puissance première, antérieure à toutes les déterminations culturelles. Le contexte, quand il intervient, réduit l’objet à une seule de ses modalités métaphoriques : le caillou avec lequel on lapide n’est pas celui qu’on érige en pierre tombale ou en bijou précieux. Hors contexte, cependant, le caillou retrouve ses virtualités ontologiques. C’est bien ce que JPZ recherche d’une pierre à l’autre: un état d’obscénité métaphysique, comparable à celui de la fameuse racine dans La Nausée de Jean-Paul Sartre («des masses monstrueuses et molles, en désordre – nues, d’une effrayante et obscène nudité»). Autrement dit, les extrêmes se rejoignent, la coïncidence des contraires veut que l’entreprise picturale «anti-littéraire» de JPZ ait pour effet de potentialiser le caillou, de le charger d’une énergie sémantique instable qui défie ou qui déborde le vocabulaire.

L’autre entrée du «système JPZ», c’est donc le verbe, l’inscription, ou la lisibilité, qui opère en l’occurrence comme une contre-épreuve : à l’instar de la représentation du caillou quotidien, mais en symétrie inverse, JPZ donne à la pratique de l’écriture le tour d’une manie obsessionnelle, génératrice d’effets paradoxaux. Et l’on pourrait aussi bien inverser le commentaire : une phrase, toujours la même (à l’inverse du caillou), en arrive très vite à épuiser son sens par le ressassement. A force de se répéter et d’envahir la feuille, la séquence alphabétique ne signifie plus rien, ou, plus précisément, elles ne renvoie plus qu’à elle-même, à sa propre architecture graphique. L’écriture anti-narrative devient auto-réflexive, elle s’interroge métalinguistiquement sur sa propre nature épigraphique ou grammatologique. Elle décourage rapidement la lecture linéaire, cependant que la récurrence des configurations verbales d’une ligne à l’autre porte le regard à une saisie transversale. On pense à la musique, qui, elle aussi, se développe dans la durée, mais en connectant chaque moment de son parcours avec l’ensemble mélodique. Il y a une lecture horizontale, ou diachronique, qui prend en compte le développement linéaire ou la séquence sonore, et une lecture verticale ou synchronique, qui prend en compte l’association simultanée des lignes ou des sons. Autrement dit, ce que les textes de JPZ perdent en narrativité, ils le regagnent en musicalité. Somme toute, dans chacun des registres, JPZ joue à qui-perd-gagne. Il se met aussi bien au diapason de l’époque : dès lors que plus rien n’a de sens, le plasticien est en position d’interroger ce «rien», l’objet du siècle, et d’enrôler l’écriture et la figure dans la nécrologie du sens.

Le visible et le lisible n’en sont pas pour autant réconciliés : nous sommes aux antipodes du calligramme, qui redouble à la manière d’un calembour la figuration et la désignation verbale d’un même objet. JPZ calligraphie, mais en se gardant de tout intonation gestuelle qui pourrait prendre une tournure figurative. Sans doute aurait-il pu recourir à la typographie ou au traitement de texte ; mais justement, la discipline manuelle (si ce n’est maniaque) à laquelle il se soumet fait d’autant ressortir la formalisation et l’arbitraire du signe linguistique. Dans Cool Memories IV, Baudrillard note que «l’image vit toujours de la nostalgie du texte, et le texte de la nostalgie de l’image». Mais JPZ s’attache justement à conjurer la tentation métaphorique du caillou peint et la tentation figurative de la calligraphie, il se fait même un malin plaisir d’exacerber leur antinomie – il se joue aussi bien de l’étymologie, qui amalgame insidieusement le sensible et l’intelligible en faisant dériver «caillou» et «calcul» du même mot latin calculus (les Romains se servaient de petites pierres rondes comme d’un boulier pour enseigner l’arithmétique).

Ni visible ni lisible : «li-visible» alors, comme disent les linguistes? Pas davantage ! Il faudrait plutôt invoquer la parallaxe telle que la conçoit le philosophe Slavoj Zizek : lequel, du viseur ou de l’objectif de nos vieux appareils photographiques, nous donne la perspective juste ? Ni l’un ni l’autre, parce que, justement, la perspective procède de cette insoluble alternative, elle est constitutivement indécidable – à l’instar encore une fois du chat de Schrödinger, qui n’est ni vivant ni mort, et encore moins mort-vivant, qui hante pourtant l’univers des physiciens… JPZ a beau se réclamer idéologiquement du bouddhisme et de la continuité cosmique, ce qui le fascine artistiquement, c’est la fracture et la dérive des continents, le vide intermédiaire, l’entre-deux de l’Orient et de l’Occident. Il ne prend le parti ni des mots ni des choses, mais de leur écart, de ce porte-à-faux anthropologique que nous apprenons tant bien que mal à rattraper et à reconduire, et qui nous achemine normalement à la marche, parfois à la claudication, trop souvent à la chute, et, très exceptionnellement, mais en l’occurrence, à l’art.

* Pas un jour sans caillou